Quels sont les enjeux du décret sur la prescription du Rivotril® ?

Quels sont les enjeux du décret sur la prescription du Rivotril ?

Comme d’autres soignants, vous vous êtes questionné sur le décret publié le 29 mars au Journal Officiel autorisant la prescription du Rivotril®, jusqu’au 15 avril 2020 prorogé jusqu’au 11 mai par le décret du 14 avril, dans le cadre de l’épidémie du covid-19, sous forme injectable en ambulatoire et hors AMM (autorisation de mise sur le marché). 

Cette dérogation exceptionnelle a été abrogée le 12 mai 2020 par décret n°2020-548 du 11 mai 2020 – art.28, puis de nouveau autorisée avec « Prescription hors-AMM exceptionnelle » par tout médecin par un nouvel arrêté publié au Journal Officiel du 27 mai 2020 prescrivant les mesures d’organisation et de fonctionnement du système de santé, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, c’est-à-dire jusqu’au 10 juillet 2020.

L’information d’autorisation exceptionnelle de prescription du Rivotril® par décret publié le 29 mars a été relayée par la presse et les réseaux sociaux, colportant parfois des peurs disproportionnées en laissant penser que le gouvernement aurait discrètement légalisé une nouvelle forme d’euthanasie.

Ces « soupçons d’euthanasie » viennent perturber votre travail de soignant puisque la confiance entre les soignés et les soignants est la base de l’édifice médical. Une défiance à l’égard du corps médical risque d’être une source de pression pour vous soignants et de vous empêcher, dans ce contexte de grave crise sanitaire, de prendre des décisions raisonnées sans obstination déraisonnable, ni euthanasie.

Rappelons que l’objectif recherché était de donner des moyens ajustés pour soulager des patients atteints de covid-19, trop fragiles pour supporter la réanimation, qui pouvaient se retrouver très rapidement confrontés à une détresse respiratoire aiguë et en situation asphyxique. Le monde médical est en effet avec ce type de coronavirus, confronté à des situations inédites, de patients dont l’état respiratoire se dégrade très rapidement sans signe précurseur.

Pourquoi l’AMM du Rivotril® a-t-elle été modifiée par décret ?

Comme les autres médicaments de la famille des benzodiazépines (midazolam…), le Rivotril® (clonazepam) a, selon la dose administrée une action anticonvulsivante (indication AMM), anxiolytique, amnésiante et sédative. Il a également un effet dépresseur respiratoire mais on l’utilise en soins palliatifs, lorsque l’état respiratoire du patient est décompensé, pour soulager sa souffrance et l’apaiser car toute détresse respiratoire est extrêmement anxiogène..

Le décret a été publié le 29 mars afin d’étendre l’indication du Rivotril® en ville et dans les établissements médico-sociaux (EHPAD, MAS, FAM) aux patients atteints de COVID-19 en situation d’asphyxie.

Dans le contexte d’épidémie, c’est la pénurie des produits affectés à la sédation qui a provoqué cette dérogation.

Le midazolam, médicament de référence pour les sédations, est un produit à délivrance hospitalière. Sa courte durée d’action ne le rend pas toujours le plus adapté pour les situations où manquent soignants et matériel médical. Enfin, il est particulièrement nécessaire aux réanimateurs, à tel point que la gestion des stocks et son approvisionnement sont devenus problématiques dans certaines régions comme l’Ile de France.

Quelles questions éthiques se posent ?

Les retours d’expérience de soignants sur le terrain dès le début de l’épidémie du coronavirus ont révélé les grandes disparités d’une région à l’autre, d’un lieu de soins à l’autre.

L’anticipation des situations – anticipation de la disponibilité : d’oxygène, des médicaments dans le contexte de pénurie, des soignants en cas de prise en charge à domicile, du matériel de protection des soignants… – permet de préparer les conditions de la meilleure prise en charge thérapeutique et humaine des patients. C’est ce que rappelle le Conseil national de l’Ordre des médecins dans son texte du 6 avril : Notamment « si le diagnostic porté conduit à devoir envisager la fin de vie et l’éventualité d’une mise en œuvre de la limitation ou de l’arrêt de traitement. »

Deux obligations du code de déontologie demeurent en toute circonstance:

  • Celle de respecter la volonté du patient telle qu’il peut ou a pu l’indiquer dans des directives anticipées, ou par le témoignage de la personne de confiance ou de la famille ou des proches ….
  • Celle de la collégialité minimale des décisions à prendre, tracée dans le dossier, sur la base d’une appréciation globale centrée par l’état du patient prenant en compte notamment les comorbidités.

Pour certains soignants – souvent dans un environnement hospitalier – cette collégialité reste possible malgré le contexte de grave crise sanitaire. Cependant pour d’autres, elle semble presque impossible du fait de l’isolement vécu dans leur pratique professionnelle devant les urgences sanitaires.

Afin de pouvoir guider les équipes confrontées à de telles situations, et permettre l’anticipation de ces situations dans les établissements de soin et les établissements médico-sociaux, des fiches de propositions thérapeutiques pour les patients atteints de COVID-19, en situation palliative, ont été publiées par la Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs le 23 mars 2020.

Elles visent à aider les équipes soignantes lorsque la prise en charge ne peut pas être assurée de façon habituelle selon les recommandations de la Haute Autorité de Santé qui continuent à faire référence chaque fois que cela est possible.

Sur la base des retours de terrain, une nouvelle version de ces fiches thérapeutiques COVID-19 a été publiée le 31 mars dernier, accompagnée d’autres fiches pratiques dédiées à la crise sanitaire. Elles essayent de tenir compte de la réalité des possibilités de prise en charge des patients dans cette situation d’urgence sanitaire et des difficultés d’approvisionnement en médicaments sédatifs dans certaines régions.

Ces fiches émettent plusieurs propositions thérapeutiques, afin d’aider les équipes soignantes à choisir – et adapter à la situation singulière de leur patient – les traitements adéquats nécessaires au soulagement des malades alors même que la situation ne leur permet pas de faire « comme d’habitude ». Ces propositions concernent les patients dont l’aggravation nécessite des soins palliatifs et parfois une sédation. Presque tous auront pu bénéficier préalablement de tous les traitements utiles (oxygène, hydratation, antibiotiques…).

Des astreintes téléphoniques 24/24h, ont été mises en place y compris pour des EHPAD par des gériatres et des médecins de soins palliatifs dans plusieurs régions. Leur objectif est de palier à la solitude parfois vécue par les soignants et de pouvoir assurer le maximum de confort et d’accès aux soins palliatifs du plus grand nombre de patients qui le nécessitent, et de ne pas laisser les plus fragiles sans soins.

Qu’en est-il de la formation des soignants aux soins palliatifs ?

Certains disent avoir été contraints de se former très rapidement, en raison de la crise sanitaire, à une pratique palliative, alors qu’ils n’avaient jamais utilisé de produit comme le Rivotril® à visée sédative jusqu’à maintenant. Cette formation dans l’urgence de la pratique palliative est-elle suffisamment approfondie pour permettre aux soignants d’être sécurisés dans sa mise en œuvre et de ne pas mettre en danger leurs patients ? Reçoivent-ils un accompagnement à la hauteur des enjeux de la pratique palliative ? Des cellules d’urgence médico-psychologique ont été constituées pour prévenir l’épuisement et l’anxiété des professionnels. Notre service d’écoute est aussi à votre disposition pour en parler et vous mettre en relation avec d’autres soignants si vous le souhaitez.

Si la prescription du Rivotril® hors AMM s’avérait parfois nécessaire et autorisée jusqu’ à la fin de l’état d’urgence sanitaire dans des situations exceptionnelles pour des patients, trop fragiles pour supporter la réanimation, plusieurs conditions doivent toujours être réunies pour encadrer son utilisation par des médecins libéraux ou exerçant en établissements médico-sociaux : la recherche de l’intérêt du patient (phase curative préalable à la phase palliative), le respect de sa volonté, une formation des soignants adaptée, une collégialité minimale tracée, l’importance de l’accompagnement des patients et de leur famille, l’accompagnement et le soutien de l’équipe de soins.

Le prescripteur du Rivotril® aura pour intention de soulager le patient et jamais d’abréger sa vie.

Dans les cas où une sédation sera proposée en phase palliative pour soulager les souffrances réfractaires du patient, la sédation dite « proportionnée » à l’intensité des symptômes permettra au patient de garder une vie relationnelle le plus longtemps possible. cf Définitions des pratiques sédatives à visée palliative de la Haute Autorité de Santé.

Sur cette ligne de crête, les soignants sont invités à expérimenter de rares instants « la puissance de ces rencontres ultimes et de ces échanges au bord de la mort. » Le fin mot de la vie, Damien Le Guay

Parce que chaque situation à laquelle vous êtes confrontés est unique, n’hésitez pas à nous appeler pour vous confier. Pour vous accompagner, le service SOS fin de vie propose un espace d’écoute au téléphone et par mail : 0142713294 et ecoute@sosfindevie.org.